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28 août 2005

l'arbre

Tout le monde connait la chanson de Brassens et son succès témoigne d'une résonance qui fait écho chez beaucoup de gens. Les arbres ont été quasiment des divinités celtiques, on voit toujours des marmenteaux, et en Mai 68 où l'on remuait plusieurs choses, c'est à propos l'abattage des arbres que les réprobations étaient unanimes.

Mais depuis Ronsard, et son ode aux bucherons de la forest gastine, je ne vois pas grand chose à citer chez les poètes. De plus, je remarque que l'arbre est naturellement épinglé par les descendants de Joseph Prudhomme quand ils s'empressent d'expliquer ce qu'ils ne comprennent pas, et j'ai conservé un texte particulièrement significatif de ce procédé. Il date de l'époque où les escrocs se lançaient dans la psychanalyse où ils pouvaient se livrer sans contrôle à l'alchimie des transmutations les plus grotesques, notamment urbaines:  "La mythologie de Georges-Emmanuel Clancier est campagnarde. Ses héros sont des personnages sylvestres, terriens, paysans. Dans cette mythologie  (!!!) on retrouve très souvent le thème de l'arbre, qui est souvent pris pour symbole d'un des êtres aimés du poète : aïeule, épouse, mère, enfant. Ainsi : "Arbre, beau visage natal", cet arbre-visage, c'est le visage de la mère, le visage le plus ancien, il l'a dit lui-même, il en a pris connaissance après avoir lu mon étude et il s'est demandé: "Pourquoi ai-je dit arbre, beau visage natal."
(Anne Clancier Intervention au colloque de Cerisy.)

Mais les peintres? On devrait reconnaître parmi eux, ceux qui aiment les arbres pour eux-mêmes. Par exemple ceux qui vont les rejoindre avec leur chevalet. A l'occasion, je me demandais si j'allais rencontrer un peintre de l'arbre. C'est avec Courbet que j'ai eu le sentiment de quelqu'un qui aime les arbres. Mais il ne les isole pas, et peint surtout les sous bois. Quant à Corot et aux impressionnistes, il est clair qu'ils peignent tout sauf l'arbre réduit à l'état de surface réfléchissante ou filtrante.
1865_l_abrio_des_daims
dans_la_for_t

Je me suis demandé s'il ne fallait pas retourner le problème et si l'arbre n'était pas un objet de répulsion, en particulier pour ceux qui symbolisent pour transformer, pour urbaniser (ce qui'ls appellent civiliser), et si alors, l'arbre n'était pas pour eux le symbole de la campagne (et la campagne l'objet de leur détestation).

3arbres_un__tat1Et puis il y a Rembrandt et la gravure célèbre des trois arbres. Isolément, elle me parait un peu bizarre et sans grand intérèt. Faut-il la rapprocher des Trois Croix et y voir un pendant ?
gloomy_day_1565

C'est seulement en tombant sur Brueghel l'ancien que j'ai trouvé l'arbre nécessaire au tableau, par exemple dans "Le jour sombre", mais aussi beaucoup d'autres oeuvres, il est le lien indispensable pour raccorder entre eux plusieurs espaces et les faire tenir ensemble. Mais avec lui l'arbre est dépouillé de ses feuilles et devient véritablement un tracé, mais un tracé puissant qui guide le regard. Il n'est pas, comme pour Cézanne, seulement présent en tant que forme, car il est encore arbre, non seulement enraciné dans le sol, mais appartenant à la nature et au sujet et pas seulement au paysage et à la représentation. Et cet arbre est ami de l'artiste qui l'utilise comme une puissante signature.

Cet anoblissement, cette appropriation et cette adoption de l'arbre comme un outil familier, se manifestent peut-être aussi par l'attachement pour une canne. 1854_bonjour_mr_courbetMais - j'y pense en écrivant ceci - dans "Bonjour Monsieur Courbet", il y a 3 cannes, dont une qui fait la nique aux deux autres, et sans ce dialogue des cannes qui donnent la mesure et qui donnent le ton, le tableau ne produirait pas exactement l'effet d'arrogance que l'on attribue d'habitude aux posturesdes personnages: l'attention suivrait un autre chemin. Décidément, Courbet est un vrai païen, au sens étymologique de paysan, aussi bien qu'au sens religieux de rebelle à une "Révélation" qui se donne pour vérité. Et quand il fait scandale avec "Les casseurs de pierres" ou "L'enterrementcasseurs_de_pierres à Ornans", les manches en bois des casseurs de pierres et la croix qui se découpe comme un arbre unique sur un horizon a_burial_at_ornans_cgfdécoupé pour produire cet effet, sont comme les personnages principaux d'une nature qui n'est pas encore morte mais menacée de mise à mort.
Si je passe de l'atmosphère morbide que je sens envahissante aussi bien dans le catholicisme sous Badinguet que dans la bigoterie judéo-chrétienne de la chiraquie, et cherche ce que deviennent les arbres et ce qu'on en fait dans l'atmosphère furibarde et sanglante du catholicisme de Philippe II et du duc d'Albe dans la Hollande du XVIIème siècle, à côté des arbres dépouillés derembrandt_the_stone_bridge_c1638 Brueghel, je remarque chez Rembrandt qu'en dehors des arbres isolés de la lithographie des trois arbres et des arbres éclairés du "Paysage au pont de studio_bostonpierre", parmi les si nombreux auto portraits, celui de Boston  tient tête à tous les autres avec ce chevalet qui s'impose et se manifeste en objet familier, et comme objet préféré. Tandis que Brueghel, qui dépouille l'arbre de toutes ses feuilles pour passer entre les gouttes, reste face à un univers fantastique, Rembrandt se jette sur sa toile comme le potache qui corrige les vers de Corneille: 
Quand on a tout perdu et qu'on n'a plus d'espoir
La vie est un opprobre et la mort un devoir
On prend son pan d'chemise pour en faire un mouchoir
Et pas seulement un mouchoir mais des turbans de toutes sortes.

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  • Croire comprendre est seulement avoir l'impression de reconnaitre quelque chose de déjà connu, tandis que déclarer ne pas comprendre indique qu'on a essayé de comprendre et mérite que j'explique.
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