trascendance et folie
Un débat dans un café-philo sur la transcendance montre clairement que pour les uns, le mot signiifie quelque chose et rien pour les autres à la manière des spectres ou des apparitions que les uns voient et les autres pas.
Il est bien plus fréquent que l'usage
assouplisse la signification des mots en sorte qu'ils sont pris dans
des sens différents par les uns et par les autres, et notamment dans la
bouche de celui qui les emploie et dans l'oreille de celui qui les
entend. Il semble que le mot transcendance échappe à cet usage. En
cherchant un autre exemple de ce phénomène, curieusement, le premier
exemple qui vient à l'esprit est celui des mots droite et gauche, aussi
insignifiants l'un que l'autre, sauf topographiquement, en sorte que,
si le contenu politique des notions de droite et de gauche n'est pas
toujours clair, c'est parce que la volonté de faire voir l'opposition
politique entre les uns et les autres l'emporte sur les modalités de sa
manifestation.
Dans le cas de la transcendance, il n'est pas d'usage
de mettre l'opposition sur le même pied et quand on lui oppose
l'athéisme, par exemple, l'alpha privatif indique une soustraction: la
notion de transcendance est supprimée. Pour rétablir l'équilibre,
certains parlent de matérialisme et de spiritualisme, mais le terme de
transcendance ne figure plus, et il n'est pas évident qu'on puisse
identifier la transcendance avec le spiritualisme dans tous les cas.
C'est
pourquoi, en cherchant ce qu'on pourrait mettre sur le même pied que la
transcendance pour opposer une force à une force, c'est au mot folie
que je pense. Au lieu de supprimer la chose, comme le matérialisme
supprime l'esprit, le terme de folie la désigne en sorte que
l'hallucination s'oppose à la vision et le délire au discours. La chose
reste la même, car l'hallucination est bien une vision et le délire un
discours, et une fois nommée, c'est sa qualification qui est
différente, un peu comme entre la droite et la gauche, la chose reste
la même - la politique - mais sa qualification est différente.
En
mettant à l'épreuve cette idée, on remarque que les gens qui se
réclament de la transcendance le manifestent souvent autrement que par
des paroles, mais par le costume et par le comportement et s'isolent de
la société, mais réciproquelment aussi, on isole les fous.
Reste que
cet isolement n'est pas toujours naturel, mais conflictuel comme le
montrent les guerres contre les infidèles ou l'anticléricalisme.
Mais
la manière campée de mettre en place la problématique met face à face
celui qui dit "Je suis inspiré" et celui qui répond: "Tu es fou."
C'est
le schéma de la relation entre le psychiâtre et son malade, et de ses
variantes avec le juge et le justiciable ou le psychanalyste et son
patient
Mais l'hurluberlu qui avait posé le problème dans un café-philo ne
le prenait pas ainsi. Le sujet qu'il avait posé s'énonçait "Sommes nous
une société transcendante ?", ce qui, dans son esprit, voulait dire
enthousiaste. Comme à son habitude, l'énoncé était biaisé. Il pensait à
un enthousiasme collectif, un idéal commun qui emporterait l'adhésion
unanime.
Le pendant qui le rejette qualifierait donc la chose de folie collective.
C'est
ce à quoi s'était trouvé confronté l'empereur Julien. Julien n'aurait
jamais voulu devenir empereur et ne l'est devenu qu'à son corps
défendant par suite d'un concours de circonstances qui se produit
rarement, car si la phrase d'Alain "Le pouvoir rend fou, le pouvoir
absolu rend absolument fou", a une part de vérité, il est plus fréquent
qu'une prédisposition à la folie attire les gens qui se prennent pour
Napoléon à préférer l'Elysée, la Maison Blanche ou Bertchesgarden à une
chambre à l'hôpital psychiatrique, et qu'ils y réussissent en
entrainant avec eux des gens qui les suivent dans leur folie ou leur
inspiration transcendante, en sorte que la séparation de l'église et de
l'état reste toujours fragile. La distinction entre le bien public et
la mission divine, entre l'autorité hiérarchique et la supériorité du
génie est mal comprise, mais la position de gourou confère à celui qui
l'occupe un pouvoir particulier d'exalter la tendance ou de la refréner.
C'est pourquoi je signale ici le Misopogon écrit par l'empereur Julien
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/julien/misopogon.htm
ou
http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/files/AClassFTP/Textes/Julien_apostat/julien_misopogon_fr.txt
comme
un texte intéressant. Alanbiqué, il est par là même expressif de la
difficulté qu'il y a à désacraliser la fonction d'empereur romain, mais
aussi que c'est beaucoup plus par l'exemple qu'il donne que par
l'autorité qu'il exerce que son influence se fait sentir. Et ceci est
d'actualité.
La vérité de la trancendance serait peut-être que
l'exemple transcende le discours, et que c'est quand l'exemple produit
de la répulsion que le discours prend place. Il y a une coupure entre
la chose et sa relation verbale ou discursive.