TROMPER DETROMPER

Auras-tu toujours des yeux pour ne pas voir
Racine

Je l'ai vu, dis-je vu, de mes propres yeux vu, ce qui s'appelle vu.
Molière

Qu'il s'agisse de tromper ou de détromper, il s'agit d'un processus déterminant, mais très difficile à repérer et encore plus à mesurer. Mais nous sommes dans un moment particulièrement favorable pour l'observer, et c'est de là que je pars.
Le processus que je vais schématiser se déroule rarement complètement. Il est arrêté quand il est compris et maitrisé. Mais quand l'est-il ?

A - LE SCHEMA

1 - La concurrence des usuriers

a) - Le vampire veut prèter à la Grèce à 15% ce qu'il emprunte à 5%, et remplacer une part du versement par des armes françaises imposées à un pays qui en regorge. C'est une simple affaire d'usurier que Molière raconte dans le deuxième acte de L'Avare.
b) - Mais d'autres usuriers convoitent la même affaire, et tentent d'empêcher le vampire d'emprunter à 5% afin de faire l'affaire à sa place.

2 - La révolution

a) - Des grecs découvrent qu'ils sont gouvernés par des crapules et d'autres grecs, qui le savaient déjà, découvrent où cela les a entrainés. Cela peut mobiliser l'attention d'autres gens et produire les mêmes découvertes dans d'autres pays, parmi les italiens ou les français notamment.
b) - Pour éviter cette contagion, le vampire se déguise en bienfaiteur et fait dire aux journalistes qu'il vient au secours de la Grèce, comme Harpagon déclare à l'usurier qu'il utilise: "La charité, maître Simon, nous oblige à faire plaisir aux personnes, lorsque nous le pouvons."

3 - Le pogrom

a) - Les gens détrompés s'en prennent à ceux qui les ont trompés: "Je hais le mensonges qui nous ont fait tant de mal", disait Pétain.
b) - L'idéal qui s'était transformé en hypocrisie est alors renversé (monarchie de droit divin, démocratie de la sécurité collective ou Europe franco-allemande) et les agents de la tromperie sont chassés (jésuites ou médias)
c) - Les gens qui ont été détrompés tardivement sont enragés et prennent des mesures excessives (la Terreur,les lois antijuives).

B - LE NŒUD DU PROBLEME

1 - L'empire du dilemme

C'est de deux manières différentes que le bébé connecte les impressions tactiles aux impressions visuelles en jouant avec son pied et les impressions verbales aux impressions auditives en apprenant à entendre et à dire "Maman". Il resterait à connecter le monde des impressions tactiles-visuelles au monde des impressions verbales-auditives,
Mais souvent elles se sont développées séparément et structurées de façon différente en sorte qu'au lieu de s'intégrer elles s'opposent et se démentent mutuellement. Cela se manifeste de mille manières dont la distinction de l'espace et du temps et la nécessité de débrayer pour passer de l'un à l'autre comme quand on distingue l'antiquité, le moyen-age, les temps modernes et l'époque contemporaine, puis dans chaque époque on distingue les pays, puis revient à la chronologie pour raconter l'histoire de chaque pays. Et souvent les gens n'arrivent plus à passer de l'un à l'autre car ils restent enfermés et bloqués dans une structure, et c'est alors que des problèmes commencent à se poser. Est-ce que la description antérieure est celle de la face antérieure ou celle qui a été faite précédemment ? Puis des habitudes se prennent et les compte rendus des dialogues des cafés-philos que j'ai lus étaient tous des récits, jamais des dialogues. Puis ces habitudes deviennent des lois et les problèmes se corsent quand les désaccords se transforment en conflits, si pour éviter les conflits, on s'aveugle, et c'est alors qu'intervient le respect.

2 - L'empire du respect

Si l'hypnose manifeste l'étouffement absolu des perceptions tactiles-visuelles par les perceptions verbo-auditives, le respect en est la manifestation la plus courante.
L'enseignement apporte de l'oui-dire et prive d'expérience. C'est le prestige dont ils espèrent bénéficier qui motive ceux qui le prolongent. Mais ce prestige dépend du cas que les autres font de la matière enseignée. L'alchimie ou l'astrologie, même avec bac+5, ne vaudraient pas aujourd'hui le respect dont bénéficiaient Fulcanelli ou Campanella.
Pendant des années, on s'est acharné à essayer de faire croire aux gens que l'économie était une réalité concrète et tangible comme autrefois on s'était acharné à essayer de les faire croire en Dieu.
Le point commun de ces deux tentatives est de confondre ce qui est abstrait comme l'addition ou la soustraction avec ce qui appartient à la nature comme un cheval ou le mont blanc.
Mais la crise économique n'est que la crise de la loi sur les sociétés que le législateur a le pouvoir de faire et de défaire en son parlement, comme le théologien avait le pouvoir de faire et de défaire Dieu en son concile, et la  loi qui régit les sociétés commerciales détermine la forme de l'économie comme le concile de Nicée déterminait la forme de Dieu. La différence est que le concile de Nicée s'est dissout après l'avoir fait, mais pas la parlement. L'institution est la manifestation tangible d'une pensée qui se fige dans le respect.

3 -  La contagion morbide

N'est-il pas remarquable que le législateur parle de crise économique comme d'un phénomène extérieur, alors qu'il a fait le moule des sociétés commerciales  et qu'il pourrait en répondre plutôt que de s'occuper de la façon dont les femmes d'habillent dans la rue? Est-ce qu'une telle désonvolture ne rappelle pas "Après moi le déluge ?" Et est-ce que la révolution n'est pas aussi inéluctable aujourd'hui que la révolution de 89 ou la guerre de 39, trois ou quatre ans avant qu'elles ne se déclenchent ?

C - LE DÉNOUEMENT ET LE DÉNIAISEMENT

1 - Molière

Entre le 15 Janvier 1688 et le 25 Février 1689 on a joué successivement Amphitryon, Georges Dandin, L'Avare et Tartuffe dont l'interdiction venait d'être levée. Toutes ces pièces traitent de la tromperie de manière à détromper .Si on cherche dans cette suite le développement d'une même idée de façon progressive, le conflit entre les perceptions visuelles et le perceptions verbo-auditives et le rôle qu'y tient le respect, on remarque à propos de la religion que l'on passe du cas où le respect n'existe pas dans Amphitryon, parce que la religion est démodée et que Jupiter n'impressionne plus ni les spectateurs, ni même le personnages de la pièce et que l'illusion est un phénomène purement scopique, au cas de Tartuffe où la religion est professée et respectée par tous les personnages de la pièce et par les spectateurs de l'époque. Dans ce cas, les impessions tactiles-visuelles sont tenues en respect au point de perdre le pouvoir de détromper, et c'est là qu'Orgon prononce l'exclamation que j'ai mise en exergue.
Dans Georges Dandin Molière montre comment les beaux parents du héros sont trompés par le respect qu'ils  portent à un apprentissage qui leur dicte le sentiment de l'honneur et des bienséances au point de les hypnotiser. Dans L'Avare, au deuxième acte, on est exactement au point où nous en sommes avec le problème de la Grèce et de l'Europe, er enfin, dans Tartuffe, sorti d'une longue période d'interdiction du fait de la cabale des dévots, Molière apprend à ne pas se laisser prendre aux faux semblants de la dévotion. Autrement dit, si on suit cette progression, on peut penser que la poudre aux yeux médiatique qui vise à faire croire que l'Europe vole au secours de la Grèce, déboucherait sur un déniaisement en démasquant l'hypocrisie démocratique des médias, mais que ce déniaisement serait temporairement suspendu par une cabale de dévots démocrasseux.

2 - Pierre Loti.

Ses défauts sont très apparents. La nonchalance d'écriture et de composition sont poussées à un tel degré qu'on en ressent le sans-gène comme une impolitesse, et cependant c'est un auteur extrèmement attachant pour la seule raison que ses descriptions ne sont jamais extérieures parce qu'il note du même coup la sensation et le sentiment qu'elle suscite en lui, et ce sentiment est toujours très fort. En le lisant, on n'a pas du tout cette impression qui rebute tant de lecteurs dans les romans de Balzac, que la description arrête le récit, le mouvement et la vie. Où qu'il soit, et quoi qu'il fasse, Loti vit de ce qu'il perçoit, et pour qui a parcouru le monde comme lui, les sujets qui passionnent Balzac semblent mesquins et sans intérêt.

3 - Conséquences

Mais quand le législateur parle de crise comme d'un fléau extérieur, ne se soucie pas de la loi sur les sociétés qui est de son ressort, et s'égare à légiférer sur l'habillement des femmes dans la rue, ce n'est plus seulement la différence entre un roman de Balzac et un roman de Loti, c'est la différence entre la vie dans un couvent et la vie sur terre. Si ce n'est pas encore de l'autisme, ce n'est plus seulement de l'isolement: c'est du retranchement. Ce n'est par hasard que l'attitude médiatique vis à vis du peuple grec répète exactement le deuxième acte de L'Avare, mais parce que l'avarice d'Harpagon est un retranchement. L'agitation dévergondée, le tapage cling cling sont des efforts désespérés pour capter et attirer l'attention sur soi, comme quand un moine sortait du couvent où il s'était retranché pour gesticuler en chaire.

C'est une vieille tradition en France de pencher de côté, comme l'illustre le système de la poubelle centrale, et c'est par le retranchement que les parisiens d'aujourd'hui descendent des courtisans de l'ancien régime, Ils n'ont plus besoin ni de la clôture d'un couvent, ni du château de Versailles pour se retrancher car l'éducation dite nationale appelle à travailler seul, développe la compétition et la rivalité, réduit le champ visuel comme des œillères pour ne rien voir autour de soi et concentrer son attention sur un mirage donné comme but. Sur un forum conscré aux études littéraies où l'étude de la langue française occupe la plus grande place, beaucoup de participants adolecents se soucient de leur oientation professionnelle. J'ai hasardé l'idée que la maitrise de la langue conduisait naturellement à envisager de devenir avocat. Je n'ai pas reçu une seule réponse car le rempilage, curieusement désigné comme un "filière", a réduit la perspective, aboli l'horizon et enclos le monde potache.

Seulement, après la libération des femmes, vient celle des enfants.

Il faut s'arreter parce que les spéculations deviennent de plus en plus hasardeuses si on les prolonge et je ne cherche pas à écrire une utopie, mais plutôt à écarter l'idée d'un but pour voir le présent. Et ce qu'on appelle la crise offre une fabuleuse possibilité d'observation.

Comments

[Roland Jondeau]

Comme l'auto, qui, en plus, empeste

[Courouve]

La burka n'est pas un vêtement, mais un dispositif qui dissimule à la fois la personne et ses vêtements. Cet usage modifie le caractère de notre espace public en permettant à celles qui le portent de voir sans être vues. Il y a rupture de réciprocité, de la sociabilité minimale de l'espace public.