la mondialisation
la mondialisation
Ils se sont mis à parler de mondialisation. Je me demandais depuis longtemps ce qu'ils entendaient par là. Je viens de comprendre que çà voulait dire qu'ils n'ont plus de repères.
C'était au Conseil Economique et Social. L'économique et le social dans
l'agitation politique font un peu le pendant de la philo dans l'agitation
urbaine: on ne sait pas de quoi on parle. Quand les
gens savent ce qu'ils veulent et le disent, il y a des conversations où l'on
négocie. En termes politiques, on dit ce qu'on veut, en termes économiques on
précise ce qu'on peut, et en termes sociaux, on répare les erreurs et recolle
les pots cassés. Au buffet, le champagne était excellent
Mais la consititution française prévoit trois assemblées,
chacune a son hémicycle, se saisit ou est saisie d'un sujet, le discute en
commission, il en sort des rapports, suivis de débats, et quand ces débats sont
suivis d'un vote, le rapport devient une loi qu'on applique quelquefois, au
moins pendant un certain temps. Quand j'étais étudiant, tous les gens que je
connaissais et moi-même étions abonnés au Journal Officiel pour lire dans leur
intégralité les débats parlementaires. Aujourd'hui, je ne connais pas un seul
abonné.
Mais des trois assemblées, le Conseil économique et social est
certainement la plus oubliée. Elle organise des Forums suivis d'un buffet avec
champagne pour avoir du public. Un jour qu'on y discutait de l'éducation
nationale, le rapport concluait à la nécessité et à l'urgence de "promouvoir une logique ascendante de construction des
contenus" et précisait "en mettant la main à la patte" (ou à la pâte ?).
J'avais beau tendre l'oreille, je n'étais pas sûr, mais après la séance, plutôt
que de profiter du buffet, j'avais suivi le rapporteur dans l'autobus pour
écouter les propos qu'il échangeait avec son assistante et sur son portable car
j'étais curieux de connaître l'auteur d'une si belle définition de la
transcendance.
Pour la pompe, on exhibe un ministre qui conclut les débats du
forum et lors d'un autre forum, au buffet, j'avais abordé le ministre en lui
disant "Mr le ministre, vous avez été long et ennuyeux", ce qui lui avait
procuré l'occasion de venir longuement bavarder de ce qui lui tenait à coeur:
comment plaire aux électeurs.
Enfin, la semaine dernière l'ordre du jour
portait sur "L'emploi des cadres. Un marché en mutation ?" Il ne s'agissait
évidemment pas de l'emploi des hémicycles tels que ceux qu'on trouve au Palais
d'Iéna, au Luxembourg ou au Palais Bourbon. Il ne s'agissait pas non plus de
l'emploi des cadres vides qui occupent un emploi de bois mort dans un siège
social. Il s'agissait des inscrits à une caisse de retraite. On en connait le
nombre, et cela fait des statistiques: 3 millions, ce qui a une signification
électorale dans une démocratie numérique.
A part cela je me demandais ce
qu'ils allaient bien pouvoir en dire, car c'est comme pour les chinois. Ils sont
nombreux, c'est tout ce qu'on sait en dire.
Hé bien! Comme en France, si on
n'a pas de pétrole, on a des idées, les orateurs qui se sont succédés ont tous
réussi à en faire un sujet en attribuant du désarroi à ces gens qu'ils ne
connaissaient pas, et ce désarroi supposé leur valait une sympathie lointaine et
imaginaire, mais affichée, car il correspondait peut-être un peu à ce que
ressentaient tous ces "représentants", très conscients d'être en représentation,
mais parfois désarçonnés si on leur demande de parler des gens qu'ils prétendent
représenter. Un gros ministre tout rouge avait conclu péremptoirement que le
désarroi des cadres, c'était la mondialisation. C'est comme cela que les
politiques comprennent la loi de Peter qui veut qu'on se hisse et se pousse
jusqu'à ce qu'on atteigne son niveau d'incompétence, après quoi on s'étale.