La vie de famille

1 - Dans un des derniers chapîtres de "La vie des formes", Focillon parle de la vie de l'artiste et précise: "A mesure qu'elle se prodigue, cette vie s'enrichit: ainsi s'explique que la vieillesse de l'artiste soit si différente de la caducité de l'homme."
Un excellent site internet sur Renoir (le peintre) illustre cette phrase. http://www.chez.com/renoir/oeuvre1.htm
Le site lui-même est une oeuvre de famille, une famille d'artistes qui s'inspirent les uns les autres. Ainsi, tout coule de source,.L'oeuvre du peintre y est bien présentée, on peut voir les tableaux, de façon vivante, insérée dans une vie de travail qui est tout autant une vie de famille. Cela sent si fort le simple et le vrai que cela fait ressortir par contraste tout ce qu'il y a de faux et de toc dans la critique d'art en général.
La vie d'artiste n'est pas la vie de bohème mais elle est le contraire de la vie dans un shaker, où la négentropie vient uniquement de l'agitation qui donne l'impression de remuer quand on secoue la case, mais seulement si on la secoue, et tant qu'on la secoue. Et il y a des gens qui ne peuvent vivre qu'à Paris pour se faire secouer, car il se passe toujours quelque chose aux Galeries Lafayette.

2 - Je les écoutais, dans un café-pilo, discuter de "Qu'est-ce que vivre vraiment?" Les uns et les autres confondaient la réalité avec la sensation et la sensation de vivre vraiment avec celle de vivre intensément. Pour les uns c'était l'amour, pour les autres la méditation (café-philo oblige), mais il ne leur venait pas à l'esprit que la vie transforme la chenille en papillon et le tétard en grenouille et que la métamorphose est un des critères fondamentaux de la vie. Non seulement la métamorphose se produit sans qu'ils s'en aperçoivent, mais, s'ils y pensent après coup, ils la confondent avec la mort, car ils n'ont pas la notion du futur, pas même celle du futur antérieur.
Ils évoquaient bien l'art et citaient comme des moments de vie intense la contemplation d'un tableau, mais sans que çà leur donne l'idée de féconder cette impression pour en faire une inspiration et de prendre des pinceaux.
Quand j'ai évoqué cette possibiité, j'ai senti un barrage extrèmement pussant, quelque chose comme la transgression de la règle du jeu qui leur permettait de se réunir toutes les semaines, mais à condition que ce soit pour gémir, et au mieux distiller et apprivoiser leurs douleurs en évoquant leurs ratages.

3 - Dans un autre cadre, j'étais reçu amicalement par un proche, qui, pensant faire valoir ses enfants, leur faisait faire leur numéro au piano, comme des chiens dressés qu'on présente en spectacle, parralèlement à une scolarité sanctionnée par des examens. La plus jeune jouait étonnamment bien, avec âme, un autre, qui vit dans la musique, s'y prétait avec désinvolture, montrant par complaisance un échantillon de ses talents, en attendant de mettre ses écouteurs et de rejoindre son piano sans nous. Mais l'ainée a joué avec virtuosité un morceau qu'elle a transformé en marche guerrière de façon si significative que je lui ai dit que ce n'était pas de la musique. Mais c'était beaucoup mieux que cela; c'était elle-même, montée sur ses grands chevaux. Elle consentait à faire le chien dressé, mais en protestant contre ce qu'on lui faisait faire.
La maladresse des parents a évidemment une très grande part dans cette raideur due à la timidité, une timidité un peu compliquée, qui fait dire que tout va bien quand on est débordé de travail et fait comprendre que sans cette diversion tout n'irait pas aussi bien.
Soit. Ce n'est pas forcément indiqué d'arrêter la course. Mais on peut la regarder passer.