La rage

Un lecteur de ce blog me dit qu'il y a de la rage. C'est bien vu, et c'est voulu car c'est un procédé. C'est dommage que les gens ne parlent pas beaucoup des procédés qu'ils utilisent pour se mettre en route. On les découvre tout seul, mais il se peut que ce soient les mêmes.
J'ai découvert le procédé quand j'étais à Sciences Po. Etant là pour étudier la politique, je m'étais mis dans tous les partis pour voir comment çà fonctionnait, et à la première occasion, j'étais monté à la tribune sans m'y être préparé pour voir comme çà se passait. Au bout de deux phrases, quand je me suis aperçu que je restais sec, il fallait trouver une solution héroïque qui produise un effet immédiat. Intuitivement je m'étais lancé dans l'emphase et pour la soutenir, à mimer la colère, et à maintenir cet état d'éveil et de mise en mouvement où les phrases viennent d'abondance.
Je ne pense pas que ce soit un procédé personnel. Tout le monde connait l'exemple de Victor Hugo qu s'était complètement arrété de produire après avoir écrit "Veni, vidi, vixi", puis avait réussi à redémarrer à partir d'un cri de colère en écrivant "Les Chatiments". C'est, semble-t-il, aussi courant pour l'art. Zola, qui connaissait bien ce milieu qu'il présente dans "L'oeuvre", y montre que la jeune peinture, l'art vivant, sont une peinture violente, et que, sans cette violence, on n'arrive pas à sortir de la gangue des manières fades et des politesses bourgeoises. Il faut non seulement s'autoriser la violence, mais aussi l'appeler en soi pour, grâce à elle, franchir les obstacles à l'expression et mettre sur le papier ou sur la toile quelquechose d'original, sur quoi, ensuite, on pourra travailler. Il faut d'abord arriver à le sortir. Ensuite, on pourra le mettre en forme, l'adoucir, l'emballer, mais si on n'est pas passé par la colère et la violence, il n'y aura jamais rien.
Que çà puisse choquer le bourgeois, c'est sûr. C'est même voulu. La rage ne suffit pas, mais il faut en passer par elle, et non seulement se la permettre mais s'y encourager mutuellement. C'est pourquoi l'artiste ne s'adresse pas directement au public, il s'adresse directement à un autre artiste que la violence n'effarouche pas, et le public n'est concerné qu'indirectement et par l'intermédiaire d'un marchand,

ou d'un éditeur ?