Les architectes

Je n'ai jamais connu d'architecte qui ne soit pas fou. Mais, je sais que ce mot de fou ne signifie rien si on ne connait pas celui qui l'utilise. Le fou, c'est celui qu'on ne comprend pas; quand il parle, on dit qu'il délire, quand il décrit, on dit qui'l hallucine.
J'aurais donc aimé avoir un ami architecte avec qui je puisse parler, d'autant plus que j'ai un sentiment très vif de mon incapacité à me figurer en imagination les choses dans 3 dimensions et voue une grande admiration à ceux qui y parviennent, car je sais mieux franchir mentalement la frontière entre la troisième et la quatrième dimension (l'espace et le temps) qu'entre la deuxième et la troisième.
Les hasards de la vie ont fait que je n'ai rencontré que des architectes physiquement handicapés. Une malformation congénitale avait déformé la main d'un ami d'enfance, qui, donc, est devenu architecte, pour surmonter cet handicap, ensuite de quoi, il est - à mon avis - devenu fou, en empiétant outrageusement sur la vie privée des gens dont il prétendait réglementer la vie en faisant leurs maisons, insidieusement, certes, mais de façon draconienne.
Plus tard, conseil d'entreprise, j'ai été amené à m'occuper de la construction des maisons (Il s'agissait de maisons de cadres dans la banlieue d'une grande ville de province), et puis à m'occuper des affaires de plusieurs promoteurs immobiliers. Certes, je ne faisais pas l'architecte - d'ailleurs je n'aurais pas su faire - mais je me rends compte après coup que cela ne me génait en rien car je ne me souciais pas des architectes.J'ai bien regardé certains projets, mais en dehors de mon travail, et comme on va voir des tableaux au musée, pour développer sa culture, sans pour autant se prendre pour un artiste. Jamais - c'est tout de même curieux - le métier d'architecte n'avait à voir avec mon travail.
Je me souviens, par exemple, que pour construire des maisons de cadres, j'avais veillé à deux choses: 1 la vente : pour que la conception de la maison soit conforme aux voeux des clients, ils racontaient la maison de leur réves à un dessinateur qui en faisait un dessin parspectif dont on chiffrait le coût, à partir de quoi on négociait. 2 La livraison: un PERT précis et respecté permttait de livrer la maison finie au moins un mois avant la date annoncée, en sorte qu'un coup de téléphone inattendu annonçait que la maison était prête, et que le client sautait au cou du constructeur sans chipoter sur les malfaçons comme il n'aurait pas manqué de faire s'il y avait eu le moindre retard.
J'avais lu Mein Kampf où Hitler raconte ses souvenirs: "il me semblait que j'étais encore mieux doué pour le dessin que pour la peinture, surtout pour le dessin d'architecture. Et pareillement mon goût pour l'architecture elle-même croissait toujours. Cette évolution se précisa au cours d'un séjour de quinze jours que je fis à Vienne à l'âge de seize ans à peine. J'étais allé étudier la Galerie de peinture du Hofmuseum, mais je n'eus d'yeux que pour le bâtiment lui-même. Tous les jours, du matin à la nuit tombée, je courais d'une curiosité à l`autre, mais c'étaient surtout les édifices qui me captivaient. je demeurais des heures devant l'Opéra, des heures devant le Parlement ; toute la Ringstrasse me parut un miracle des mille et une nuits. "
J'avais remarqué qu'il commençait son livre en intitulant son premier chapître "La maison de famille" et non "La famille". C'était, peut-être pourquoi je pensais que les architectes étaient fous, c'est-à-dire dangereux, car si on n'aime pas les gens mais la maison des gens, on peut facilement devenir un tyran.
Je n'ai donc pas connu d'architecte avec qui parler, et quand  il m'arrive aujourd'hui de rencontrer des gens qui se présentent comme architectes, j'espère toujours que c'est l'occasion. Parfois, ils ont un handicap et je crois reconnaître cet ami d'enfance qui s'était fait architecte pour le surmonter. Sinon, ils me font penser des sortes de moines que leur dieu a pris par les cheveux pour les mettre dans un état de sustentation où ils ne se sentent plus de ce monde.