Le raccourci

En peinture, le raccourci est un exercice difficile quand l'artifice de la perspective géométrique ne suffit plus à produire sa vraisemblance. L'idée de l'objet présenté en raccourci a besoin de prendre appuis sur son entourage pour entrer dans la perspective générale du tableau. C'est pourquoi l'anamorphose célèbre des Ambassadeurs d'Holbein avait besoin de l'escalier à côté duquel était placé le tableau pour attirer l'attention sur un détail qu'on pouvait comprendre avant de bien voir le reste du tableau. Et, quand le tableau n'est plus placé à côté d'un escalier adequat, ladite anamorphose prend la même signification que "Ceci n'est pas une pomme" ou "Ceci n'est pas une pipe" dans les tableaux de Magritte. Ce surréalisme qui vous trompe afin de vous détromper diffère du réalisme qui vous détrompe sans vous tromper, mais a bien du mal à passer pour de l'art auprès des gens que l'art trompe.
Est-ce que vous faites une différence entre Bouguereau et Raphaël ? Ils ne sont pas du même siècle, direz-vous, mais voyez-vous une différence entre les Borgia et les Bonaparte? Ils ne sont pas du même pays, direz-vous, mais faites vous une différence entre Berlusconi et Sarkozy ?
Ils ne sont pas de même mafia, direz-vous. C'est bien là qu'est la différence, mais pour la saisir, le raccourci doit être placé dans son entourage.
Dites moi de quelle mafia est votre entourage familier , et je pourrai vous dire l'art qu'il vous faut, la religion qu'il vous faut, le psychanalyste qu'il vous faut, le livre de chevet qu'il vous faut, les vacances qu'il vous faut et quel enterrement qu'on vous fera.