"transfert" et Cie
L'isolement
Quand j'étais conseil d'entreprise, j'entendais les
patrons me dire: "Né d'une famille pauvre mais honnête, et à la seule force du
poignet, j'ai réalisé une oeuvre considérable, mais je suis mal
entouré."
Pour comprendre cette manière de se voir seul, il faut comprendre
l'isolement comme un acte et non comme un fait. Cet acte transforme la réalité
en une représentation où figure une solitude qui n'existe pas dans la
réalité.
Les gens qui parlent de tranfert, de communication, ou plus
généralement de relations ZUMEN se montrent plus aveugles et plus naîfs que les
patrons en ce qu'ils ne considèrent pas l'isolement comme le résultat d'un
processus, mais l'individu comme un point de départ.
Le remède
Quand le patron avait fini de développer sa tirade
- cela pouvait prendre deux heures ou plusieurs jours - je pouvais lui répondre
que j'allais voir. Cela ne le choquait pas; c'était la suite qu'il attendait, et
je prenais rendez-vous avec ses collaborateurs. Puis, le temps passant, comme je
lui rendais compte de mes observations, complétées de remarques, il se
construisait peu à peu un tableau qu'on pouvait mettre à côté de celui qu'il
m'avait présenté, comme quand les peintres impressionnistes peignaient côte à
côte le même paysage. Et parfois, il en arrivait à me dire: "Puisque nous avons à travailler, ne restons pas dans mon
bureau."
Ainsi, je l'avais mis hors de chez lui, sans le mettre hors
de lui.
L'isolement sans remède
La même méthode ne marcherait pas avec les gens qui sont isolés dans une perspective individualiste. Un phénomène comparable à une entrée en religion les a rendus prisonniers d'un seul jeu. Ils ne jouent plus ensuite que des parties successives en respectant toujours les mêmes règles. La distinction des amis et des ennemis s'est effacée et a fait place à la distinction du bien et du mal, et on ne peut pas les mettre hors de chez eux sans les mettre hors d'eux. Sortir un psychanalyste de chez lui ou un moine de son couvent serait aussi cruel que de mettre un poisson hors de l'eau, et en avoir l'idée correspond à écrire que le homard demande à être ébouillanté vivant.
La sagesse résignée
Les uns trouvent la vie qui leur convient dans l'action, que le dialogue active, et les autres dans la soumission, que le discours endort. Si on mélange les uns avec les autres, on crèe de problèmes insolubles car on ne peut pas participer à un dialogue en même temps qu'on écoute un discours. Mais essayez de dire à un discoureur : "Ce que vous dites ne m'intéresse pas et je suis occupé à dialoguer avec mes interlocuteurs. Laissez nous". Michaux ne croit pas que cela marchera, et je suis de son avis:
"Malheur ! Il se casse une jambe
dans un urinoir.
Qui est-ce ? Sans doute un nerveux. Peut-être un timide. Une
pensée le traverse. Le faux pas se fait et voilà une jambe de cassée.
Le fil
du malheur simplement...
Il prêche, mais la plate-forme où il se trouve,
cessant de le soutenir, s'écroule.
Il veut encore prêcher, mais il tombe et
il est retiré de l'eau comme poisson et vendu au kilo, triste fin pour un
prédicateur.
Il veut encore prêcher, mais il est mis à cuire dans une
casserole, dont le bruit l'endort et le retire à ses projets. Et le monde qui
prétendait le faire marcher au pas rit, et une assemblée se forme et se
félicite.
Mais le voilà qui, pas tout à fait abattu encore fait un geste
vague, comme pour chasser le maheur de sa poitrine, cependant qu'il se remet à
cuire lentement. Après quoi il ne semble en effet plus fort bon pour la
prédication, non, plus fort bon."