Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
conversation
10 mars 2007

Le barouf médiatique

Les gens qui ne savent pas ce qu'ils font peuvent encore le dire et on peut les entendre. Ils obéissent et  font ce qu'on leur fait faire, et si cela ne les satisfait pas, ils se plaignent d'être obligés d'obéir, tandis que si çà leur convient, ils sont attentifs à être bien notés et à être appréciés de leurs chefs. Leurs propos disent à la fois le jeu auquel ils participent et la position qu'ils occupent dans ce jeu. C'est le jeu du pouvoir  Hegel indique dans la dialectique du maître et de l'esclave qui'ls sont dans le même jeu, et Vailland montre dans son roman "La loi" qu'on peut tirer au sort celui qui fait la loi aux autres sans que le jeu change.
Mais cette identité du jeu n'apparait pas à ceux qui sont prisonniers d'un seul jeu parce qu'il représente à lui seul le monde dans lequel ils vivent. Quand Vigny, dans Grandeur et servitudes militaires traite de l'obéissance passive, il déclare qu'il (lui) est insupportable de subir le pouvoir mais agréable de l'exercer. Avec cet état d'esprit, les parties se répètent, le perdant cherchant toujours à prendre sa revanche, ce qui entretient le jeu en multipliant les parties.
Vu de loin, ce jeu ressemble au jeu de la course, qu'il s'agisse de la course au pouvoir ou de la course aux honneurs. L'enjeu de chaque partie est l'élimination du vaincu par le vainqueur, et l'invasion de toute la vie par ce seul jeu est illustrée par l'histoire racontée par les vainqueurs agrémentée par le plaisir de trainer dans la boue le vaincu. Ce processus a un point faible: les gens qui sont possédés par la passion du pouvoir sont également aveuglés par cette passion et peuvent se tromper d'adversaire. Cela se produit quand ils imaginent être aux prises avec un adversaire qui leur dispute le pouvoir, et participe donc au jeu, alors qu'en réalité, il cherche à quitter le jeu: "Si j'aurais su, j'aurais pas venu"
Dans la droite ligne de l'histoire racontée par les vainqueurs, les médias tombent dans ce panneau à peu près systématiquement. Ainsi passe-t-on des gens qui ne savent pas ce qu'ils font aux gens qui ne savent pas ce qu'il disent. Ils font bien ce qu'on leur fait faire, mais en disant ce qu'on leur fait dire. L'ensemble des gens qui disent ce qu'on leur fait dire, c'est-à-dire l'éducation nationale, médias compris, englobe dans son discours des gens qui ne participent pas au jeu du pouvoir. Quand il s'agissait d'élections, c'étaient les abstentionnistes, mais dans une simagrée médiatique préélectorale, jouant avec des sondages, rejeter le jeu ne consiste plus à s'abstenir de voter, mais à ne pas se laisser médiatiser. Il ne s'agit plus de se distinguer des gens qui votent, mais de ceux qui prophétisent. On n'est plus sur le terrain de l'action mais sur celui de la parole. Déjouer les prophéties, c'est faire mentir les sondages.
Le lien qu peut réunir la parole et l'action est ainsi complètement rompu car la parole ne commande plus l'action comme quand on se concerte pour agir ensemble, et la parole ne reflète plus l'action comme quand elle la relate pour informer. Ce ne sont pas seulement les gens qui se sont séparés les uns des autres pour se rapprocher ensuite en jouant les uns contre les autres et en s'affrontant, ce sont les jeux qui se sont séparés. Il y a des jeux de parole qui fonctionnent sur le mode symbolique en éloignant et en tenant à distance une signification qui se réduit autant qu'il est possible et en particulier en remplaçant les assertions par des métaphores et des métonymies, tandis que d'autre part, les jeux d'action privés du lien verbal se transforment en jeux d'agitation avec des agitateurs et des agités qui ne savent rien d'autre de ce qu'ils font. Ce ne sont plus les maîtres qui font travailler les esclaves en les mettant à leur service mais des agitateurs qui secouent des agités sans autre but que de les maintenir en état d'agitation. C'est ce qui ressort clairement de l'agitation préelectorale. De même que l'enseignement avait glissé de l'art d'instruire à la domestication par la discipline, les médias qui avaient déjà glissé de l'art d'informer à celui de moraliser, ont glissé de l'art de moraliser à celui d'agiter pour manifester leur existence. Mais il y a un lien entre la discipline scolaire qui entretient le calme et l'action médiatique qui entretient l'agitation. C'est à la fois cyclottymique et schizophrénique, sauf que ces mots faisaient jusqu'ici partie du vocabuaire de la psychiâtrie et étaient utiisés pour caractériser des personnes considérées comme "anormales" parce qu'elles étaient inaptes à participer à la vie de la société, tandis qu'ici elles caractérisent des jeux établis dans la vie de société  et une tendance à institutionnaliser ces jeux.
Non seulement il est assez courant en France de dire que les parisiens sont fous, mais la tendance à institutionnaliser des jeux de pouvoir qui revètent un caractère pathologique aux yeux de tous ceux qui leur sont étrangers a des précédents qu'il faut rappeler.
La princesse Palatine, alias Madame, alias Liselotte détaille dans sa correspondance ces pratiques et a lettre que je cite n'indique qu'une petite partie de l'étiquette: "Je vois que vous prenez mon fils pour un prince du sang. Mais il n'en est pas un. Son rang est celui de petit-fils de France; il est supérieur à celui des princes du sang et a plus de privilèges. Les petits-fils de France saluent les reines, s'asseyent devant elles, montent dans leurs carrosses; tout cela, les princes du sang ne le peuvent. Leurs domestiques ont certaines immunités et servent par quartier. Ils ont un premier écuyer, un premier aumonier, un premier maître d'hôtel. Les princes du sang n'ont rien de tout cela, pas davantage des gardes du corps comme mon fils ni des gardes suisses..."(lettre du 27 Mars 1707).
Ceci appelle deux remarques.
La première, c'est que l'aristocratie, qui, vue de loin, est souvent considérée aujourd'hui comme une classe qu'on distingue d'autres classe sociales, à la manière de Marx, vue de près, était à la cour de Louis XIV une sorte de secte religieuse, vouée à manifester le culte de la hiérarchie à l'intérieur d'elle-même, et si possible jusqu'à l'absolu. Ce n'est qu'au siècle des lumières que le duc de Boulainvilliers prônait légalité des nobles entre eux à l'intérieur de leur groupe de sang bleu.
La deuxième, c'est qu'en France, le jeu de la démocratie fait pendant au jeu de la hiérarchie, et que par une sorte de mouvement pendulaire, les manifestations les plus extrèmes des deux jeux poussent la manifestation de leur tendance jusqu'à une absurdité, qui, vue de loin, provoque l'hilarité générale. C'est aussi vrai quand on lit aujourd'hui la correspondance de la Palatine, que quand on voit de l'extérieur les agitateurs médiatiques parler de la campagne présidentielle à la télévision. Le corps médiatique devrait donc s'attendre à être chahuté comme le corps enseignant l'a été en Mai 68, et comme cela se produt quand on cherche à "motiver" les gens pour les entrainer dans un jeu qui n'est pas le leur.Tandis que des élections autrefois ont brassé la société en suscitant des échanges, la simagrée médiatique d'aujourd'hui ridiculise l'élection présidentialiste et les élections en les transformant en un jeu de polichinelles qui perdent le peu de crédit qu'il leur restait en se montrant. De même que le général de Gaulle était surpris et ne comprenait pas ce qui se passait en Mai 68, les médias seront surpris et ne comprendront pas ce qui se passera quand ils subiront le contre-coup de leur agitation. Les courtisans qui faisaient les singes avec de l'étiquette, des carrosses et des simagrées ont été passés à l'échafaud un siècle plus tard, et les médias qui font les singes avec de la calomnie, de la morale de pacotille et de la langue de bois risquent d'être privés de parole.
Car la liberté, que son caractère polysémique écarte des discussions (on ne dit pas ce qu'on en fera), passe cependant à l'ordre du jour quand le même obstacle entrave la liberté de tous. Subitement alors, et à la surprise générale, un incident quelconque révèle l'ennemi commun et déclenche la ruée. Aprs coup, seulement, on se demande ce qui s'est passé et pourquoi les pouvoirs publics n'ont rien vu venir?
Avec le système de la poubelle centrale, les pouvoirs publics ont attiré à eux les gens intempestifs pour les domestiquer et en faire leurs auxiliaires. La société en est débarrassée et les pouvoirs publcs en sont d'abord félicités. Mais un certain laissez-aller fait que les pouvoirs publics se fient à leurs auxiliaires qui prennent de l'audace, une audace que compensent des récompenses. Dés que la servitude se négocie et rapporte, une discrimination positive crèe des privilèges. La parabole de l'ouvrier de la onzième heure favorise la racaille convertie et un jeu de pouvoir s'institue dont l'enjeu est la conversion de la racaille. La société supporte encore mais voit cela d'un mauvais oeil. Parfois  un coup de culot de racaille mal domestiquée laisse la porte ouverte à des mesures iniques et les jésuites ou la loi Gayssot suscitent une indignation qui fermente. Un guet s'installe qui attend un moment de faiblesse pour se manifester. C'est quand ils sont occupés à serrer la vis, que les pouvoirs publics, ayant perdu leur sang-froid laissent échapper l'information et ne s'en avisent pas. Et c'est au moment où ils s'abandonnent à la gloriole d'un succès que ce relâchement les menace comme dans la fable du corbeau et du renard.
D'autant plus qu'il ne s'agit que d'un emploi de concierge et d'un emploi de concierge qu'on pourrait et devrait supprimer. Mais c'est précisément pour cette raison, et par un mécanisme compensatoire, que le déchaînement médiatique a poussé le simulacre jusqu'à sa propre caricature et  l'idiotie à une telle extrémité qu'elle rappelle l'infaillibilité pontificale proclamée le jour où le pape perdait tous ses états temporels en même temps que le Second empire, faisant parade de sa nullité, s'était lancé dans une guerre pour imposer une prétention qui s'est évaporée dans une défaite presque instantanée. La société, ayant alors perdu son église et son état, avait gardé sa religion et implorait le Sacré-Coeur en créant les pélerinages de Lisieux et de Lourdes.
Le ballon de vanité ainsi crevé laissait à peine le souvenir de la pétouillade qui l'avait gonflé, mais jamais ballon gonflé de pétouillade n'avait encore oser aller jusqu'où il est allé depuis. Napoléon III était le petit de Napoléon qui avait réellement gagné des guerres, Chirac n'est que le petit d'un président de Gaulle qui n'a que prétendu avoir gagné une guerre que la France avait réellement perdue, et Sarkozy n'est que le petit d'un Pierre Laval et bouscule Chirac comme Laval bousculait Pétain pour se mettre en faveur avec Bush comme Laval avec Hitler parce qu'il est le plus fort.
Ce montage de la faiblesse réelle en épopée verbeuse avait monté une épopée catholique à partir du procès de Jésus-Christ, qu'on a transformé en épopée "judéo-chrétienne" à partir d'Auchwitz, puis en venir à figurer une épopée des droits de l'homme sous la forme d'une constitution européenne.
Cela correspond au chapître 1 des Essais  "Par divers moyens on arrive à pareille fin", où Montaigne expliqueMontaaigne comment on peut échapper aux rigueurs de son ennemi: "La plus commune façon d'amollir les coeurs de ceux qu'on a offensez, lors qu'ayant la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c'est de les esmouvoir par submission à commiseration et à pitié. Toutesfois la braverie, et la constance, moyens tous contraires, ont quelquefois servi à ce mesme effect." Il a, par la suite, biffé la résolution qui'l avait d'abord fait figurer dans la deuxième série et la majuscule qu'il avait mis au mot Prince. Il est clair qu'il l'a fait pour objectiver son propos, et ne pas laisser de place à l'impression ressentie et à son contrecoup. Objectivement il s'agit de faire une impasse, mais laquelle ? comme c'est indécidable, la psychologie en décidera finalement, tandis que le seul calcul permet de jouer de l'une ou de l'autre carte.
Ainsi, tout au début des Essais, dans la premier livre, dans le premier chapitre, à la première page et à la première ligne, Montaigne expose un problème individuel sans se placer dans une perspective individualiste, et ses corrections montrent que ce dont il se défie, c'est précisément cette perspective dont les déformations produisent l'erreur systématique de la paille  et de la poutre.
C'était bien, n'est-ce pas, la problématique de Ségolène face aux éléphants et de Bayrou face aux favoris. On va voir la suite.

Publicité
Publicité
Commentaires
conversation
  • Croire comprendre est seulement avoir l'impression de reconnaitre quelque chose de déjà connu, tandis que déclarer ne pas comprendre indique qu'on a essayé de comprendre et mérite que j'explique.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
7 abonnés
Archives
Publicité