Le by-pass

J'essaye ici de préciser cette distinction entre les perceptions tactiles-visuelles et les impressions plus intellectuelles que sont le relations verbalisées dont j'ai tiré des conséquences dans le message précédent.

Alberti fait une théorie de la perspective géométrique, donc passe par des concepts de formes obtenus par abstraction: des droites, des cercles, etc...A partir de là, Piero della Francesca, par exemple, va appliquer la perspective aux emboitements qui servaient à placer les personnages, puis on va conserver la perspective et supprimer les emboitements désormais mentalisés.
Mais c'est tout autrement que procède Filippo Lippi. Le procédé qu'il utilise dans la madone  et l'enfant avec deux anges n'est pas le relief théorique de la construction géométrique et intellectuelle, mais le relief tangible des bas reliefs de Donatello. Pour le faire mieux sentir, j'ai choisi une photographie en noir et blanc pour masquer les effets de couleur. Le cadre en trompe l'œil aide, mais pas seulement. Vous me direz peut-être que vous ne voyez qu'un ange ? Mais regardez bien: le second est sous le bras gauche de Jésus et mis là comme le cadre en trompe l'œil pour ajouter un plan. Il restera ensuite à augmenter les distances en profondeur. C'est une tâche à laquelle va s'atteler Mantegna.
Mais on constate que ce n'est pas, comme on le dit quelquefois, la vision binoculaire qui donne seule l'impression de relief par effet télémétrique, mais que d'autres indications peuvent aussi produire un effet de relief, et il y en encore d'autres qui ne sont pas moins puissantes, comme la couleur. Et si on voit tant de peintures en trompe l'œil à la Renaissance qui figurent des statues dans des niches, et tant de mélanges de la peinture à la sculpture, c'est bien pour donner une impression tangible du relief.
Aussi, quand quelqu'un vous dit que c'est l'effet télémétrique qui donne l'impression de relief, vous pouvez présumer que les impressions tactiles-visuelles ne s'intègrent pas à son entendement. C'est ce qu'on remarque facilement avec certains médecins quand on les consulte en tant que malades parce qu'on est celui qui sent et n'intellectualise pas, tandis qu'il est celui qui intellectualise et ne sent pas. Et si, par malheur il se réfère à la statistique (1), il faudrait pouvoir lui asséner les propos de Trousseau: ""Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l'étude de la médecine, j'y consens au même titre qu'une clé analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l'étude de la botanique; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez vous d'oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le natualiste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.
A mesure que les faits se dérouleront devant vos yeux, à mesure que vous aurez examiné et que vous serez aptes à comparer, hâtez-vous de vous débarrasser des entraves scolastiques. Vous arriverez, par cette gymnastique intellectuelle, à donner à votre esprit une puissance de déduction inconnue à ceux qui restent servilement dans le sillon creusé par leurs maîtres, moins par respect pour ceux qui ont ouvert les portes de la science que par paresse ou insuffisance".

(1) On utilise la statistique pour démontrer par méconnaissance du théorème de Bernouilli, et jamais pour une autre raison.